Newsletter

Retour à la liste d’actualités

Frère Charles-Henri : « Le charisme marianiste est celui de notre famille tout entière ! »

Interview

5 mai 2025

Le vice-président de la Fondation évoque la nécessaire transmission du charisme marianiste et notre mission éducative commune

INTERVIEW avec

Charles-Henri Moulin, religieux marianiste et vice-président de la Fondation Marianiste

Les événements récents de la vie de l’Église catholique comme le Synode sur la participation des laïcs, mais aussi les perspectives concernant l’avenir des religieux marianistes et de leurs œuvres ont amené le réseau marianiste à la publication de plusieurs documents de référence, comme le référentiel pastoral, le projet éducatif marianiste, ou encore le Guide « Horizons Nouveaux ». Ces divers outils veulent esquisser des réponses aux défis actuels : comment imaginer ensemble, laïcs comme religieux, l’avenir de notre réseau ? Comment explorer de nouvelles manières d’accueillir le « charisme », l’intuition fondatrice de la Famille Marianiste, et de la transmettre ? Charles-Henri Moulin, religieux marianiste et vice-président de la Fondation, tente avec nous de répondre à ces questions.

Que faut-il entendre par le mot de « charisme » ?

Frère Charles-Henri Moulin : Lorsque l’on dit couramment que quelqu’un est « charismatique », c’est qu’il/elle a une sorte d’ « aura », une présence personnelle forte, qui en impose. Ou bien c’est avoir du talent dans son métier, par exemple. Mais ce n’est qu’une petite partie de sa définition originelle : le charisme (du grec khárisma, «grâce, faveur, bienfait» NDLR), c’est d’abord, dans les Écritures, en particulier dans les Actes des Apôtres et les écrits de Saint-Paul1 , un don personnel de Dieu à une personne pour le bien de tous. Ce n’est pas pour se glorifier soi-même ! Toute personne, tout chrétien a des dons et des charismes, qu’il faut savoir reconnaître et mettre en valeur dans sa propre vie.

« LE CHARISME, C’EST L’ÉLAN OU LE RESSORT PROFOND DE LA RÉPONSE QUI A ÉTÉ DONNÉE PAR LA PERSONNE SOUS L’ACTION DE DIEU, FACE À UNE SITUATION DONNÉE. C’EST DONC, DANS LA FOI, UNE RÉPONSE AUX SIGNES DES TEMPS. »

Dans le cas de Guillaume-Joseph Chaminade (1761-1850), fondateur des Marianistes, le charisme, c’est la rencontre entre une personne, un contexte historique, et enfin une intuition spirituelle de la personne pour faire face à tel ou tel besoin à son époque. Dans la période qui suit immédiatement la Révolution française et l’Empire, avec une situation bien particulière de l’Église, qui avait subi de nombreux troubles, mais aussi une grande ignorance et une souffrance des plus démunis, Chaminade voit la situation de ses contemporains. Il lui est alors donné, avec ses compagnons, de multiplier des œuvres de charité, d’instruire la jeunesse, d’ouvrir des écoles qui connaissent vite un franc succès. J’aime à dire que le charisme, c’est l’élan ou le ressort profond de la réponse qui a été donnée par la personne sous l’action de Dieu, face à une situation donnée. C’est donc, dans la foi, une réponse aux signes des temps.

Mais c’est une réponse qui est d’abord liée à une personne, un fondateur. Se pose donc la question : peut-elle être aussi le fait d’un groupe, d’une congrégation tout entière ? C’est au moment du Concile Vatican II que l’on a commencé à parler, pour des congrégations religieuses comme la nôtre, de « charisme fondateur » avec cette idée d’un nécessaire retour aux sources. Notons que le mot de « charisme » n’est d’ailleurs même pas mentionné dans le dernier Code de Droit canonique, celui de 1983, qui lui préfère le vocable de « patrimoine »2 . Le théologien canadien Gilles Routhier évoque, lui, le « patrimoine immatériel »3 d’une congrégation ou d’un institut religieux, c’est-à-dire son esprit, en quelque sorte. Le mot de charisme recouvre donc à la fois quelque chose de précis, mais aussi d’insaisissable. Nous avons reçu en héritage, et nous vivons encore aujourd’hui de l’intuition fondatrice du Père Chaminade. Que veut-elle dire pour nous aujourd’hui ? Il faut trouver une sorte d’équilibre à quelque chose qui semble bancal : tenter de définir un charisme, n’est-ce pas le trahir un peu ? Mais dans le même temps, si nous ne le définissons pas, nous aurons du mal à le transmettre !

Comment envisager justement une transmission du charisme marianiste, et par qui cela passerait-il ?

Le plus important, comme le rappelle très justement François Moog4, Recteur de l’Institut Catholique de Toulouse, est qu’un charisme n’existe que dans la mesure où il y a des gens qui le vivent. Le charisme d’une congrégation, ce n’est pas une page d’histoire, ni un objet de musée, ou bien le vieux tableau de la grand-mère que l’on se transmet précieusement de génération en génération ! Je reconnais d’ailleurs que cela a pu être une façon plus ou moins répandue de voir les choses, y compris au sein de notre Famille. Il me semble qu’il faut contraire chercher à vivre une expérience humaine et spirituelle.

Ainsi, lorsque j’entends parfois ici où là : « Mais que ferait le Père Chaminade à notre place ? », il me semble que la question est mal posée, car il y a un certain nombre de sujets qui ne faisaient pas partie du contexte historique auquel le Père Chaminade a voulu apporter une réponse. Que l’on songe par exemple aujourd’hui à l’arrivée de l’Intelligence Artificielle dans notre société. L’idée n’est pas de copier notre fondateur, mais plutôt de s’inspirer ensemble de la manière dont il a fait ce qu’il a fait, en son temps.

« DANS LA PÉRIODE ACTUELLE, IL NOUS FAUT INSISTER SUR LE FAIT QUE TOUS LES ÉTATS DE VIE SONT RÉUNIS AUTOUR D’UN CHARISME COMMUN. »

À cet égard, notre langage peut aussi nous jouer des tours. Dans la période actuelle, lorsque par exemple, voyant nos effectifs diminuer inexorablement, nous autres, religieux, décidons que nous pourrions « ouvrir nos Conseils et nos Chapitres aux laïcs », et « leur passer progressivement les prises de décisions », il me semble qu’il faudrait plutôt insister sur le fait que tous les états de vie sont réunis autour (ou au sein) d’un charisme commun, au service duquel nous allons essayer de mettre en place des structures nouvelles pour assurer de façon pérenne l’avenir de la mission marianiste.

Le Père Chaminade avait d’ailleurs eu dès le départ cette intuition d’un rassemblement de tous les états de vie, mais aussi de toutes les professions (ouvriers, enseignants, éducateurs…) au service d’une même mission5. C’est ce qui l’a amené à créer en 1800 la « Congrégation » (la préfiguration des actuelles “Fraternités Marianistes”) en s’entourant d’abord exclusivement de laïcs, même si quelques prêtres les ont rejoints au passage, puis en 1809, l’ « État » (précurseur de l’Alliance Mariale). Ce rôle éminent des laïcs préfigure déjà ce qui sera mis en avant par l’Église, un siècle et demi plus tard, avec la constitution dogmatique Lumen Gentium6 .

Ses échanges avec Adèle de Batz de Trenquelléon (1789 – 1828) se sont d’abord faits uniquement par correspondance, ce qui n’a pas empêché une vraie fécondité : cela me fait un peu penser à la puissance des réseaux sociaux d’aujourd’hui ! Et ce n’est que plus tard, en 1816 et 1817, que furent créés les deux Instituts religieux, les Filles de Marie et la Société de Marie (les sœurs, puis les religieux marianistes, frères et prêtres).

Notre charisme n’est donc ni celui des frères, ni celui des sœurs, ni celui des laïcs, consacrées ou non : il est celui de notre Famille tout entière. « L’union sans confusion » chère au père Chaminade s’applique en fait à tous les états de vie !

Comment résumer le charisme marianiste aujourd’hui et quels en sont les éléments différenciants ?

Si je devais prendre un mot pour résumer notre charisme, ce serait sans doute celui de « Maternité ». Nous tous, marianistes religieux et laïcs, sommes appelés à collaborer à la maternité divine de Marie. Il s’agit donc d’une spiritualité missionnaire. Avec elle, et sous l’action de l’Esprit Saint, notre rôle est d’enfanter le Christ en chacun de celles et ceux qui nous sont confiés, d’en faire des adultes responsables et accomplis. Dans l’épisode des Noces de Cana (Jn 2, 1-11), l’attitude de Marie est très instructive et source d’inspiration pour le comportement des éducateurs. Rien de plus concret que le rôle d’une mère ! C’est pourquoi le charisme marianiste est un charisme de l’incarnation avant tout. On se rappelle que Dieu n’est pas lointain, et l’on ne s’attarde pas sur des concepts éthérés. Si vous relisez les lettres du Père Chaminade, qui sont bien évidemment toute empreintes de conseils spirituels fort avisés, vous y trouverez toujours, par exemple en conclusion, des détails matériels, très terre-à-terre, comme des recommandations sur la gestion des comptes, l’intendance, le bois pour l’hiver, la formation des plus jeunes, l’organisation d’un voyage…

Il y a aussi des spécificités marianistes dans l’éducation, des sensibilités particulières : l’engagement pour la cause de la justice et la paix est encouragé, à tous les âges. La promotion du rôle de la femme dans nos sociétés, ce qui est d’ailleurs un élément majeur du Pacte éducatif global, proposé par le Pape François en 2020.

« IL FAUT QUE CHACUN DE NOS ÉLÈVES PUISSE TROUVER, DANS SON ÉTABLISSEMENT SCOLAIRE, UNE SECONDE FAMILLE. »

Comme le rappelle le Projet Éducatif Marianiste, il y a chez nous une grande insistance sur la personne dans toutes ses dimensions ; on peut y voir l’influence historique du personnalisme d’Emmanuel Mounier et du catholicisme social de la fin du XIXe au début du XXe siècle . Cela se traduit par une certaine douceur éducative, qui n’enferme pas les gens. Nombre de nos anciens élèves en témoignent.

La notion de vie communautaire est également très forte, pour les laïcs comme pour les religieux, à l’image des première communautés chrétiennes, qui mettaient tout en commun, ou du Cénacle, où les Apôtres réunis attendaient la venue de l’Esprit Saint. L’esprit de famille, ce n’est pas rien ! C’est l’idée que chacun de nos élèves puisse trouver dans son établissement scolaire une seconde famille. Et ce qui est vrai en France, l’est dans le monde entier : lorsque vous connaissez la famille marianiste, au sein de nos établissements au Japon comme à Buenos Aires, on vous accueillera en vous disant « Tu es chez toi ! ».

C’est enfin une pédagogie de la responsabilité, de la liberté, de la créativité. On aime faire faire les choses par les plus jeunes, qui sont souvent encadrés par des plus grands. Il y a une grande vitalité des mouvements et activités extrascolaires au sein de notre réseau, avec les chœurs, les équipes bénévoles. Ce qui veut bien dire que l’école ne s’arrête pas à la fin de la classe. Dans les colegios marianistes espagnols, les élèves jouent parfois au football jusqu’à minuit ! Nous considérons que l’éducation se fait aussi par ce qui se glisse dans les interstices du monde scolaire. Le charisme marianiste, dans la pédagogie, c’est un véritable mode de vie !

Propos recueillis par Pierre Marot

Avec la Fondation Marianiste, par votre générosité, soutenez l’engagement de notre réseau et de notre famille depuis plus de deux cents ans en faveur de l’accès à l’éducation !

Les fondateurs marianistes

Le réseau marianiste

—-

NOTES

1 Corinthiens 12, 7-11. 
2 Cf. Canon 578 : « Le patrimoine des instituts, c’est-à-dire l’intention et les projets des fondateurs approuvés par l’autorité ecclésiastique compétente à propos de la nature, du but, de l’esprit et du caractère des instituts, ainsi que de leurs traditions saines, tout cela doit être fidèlement gardé par tous. »
3 Gilles Routhier, « Laurier Turgeon (dir.), Le patrimoine religieux du Québec : entre le cultuel et le culturel, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, 562 p. », Recherches sociographiques, vol. 48, no 2, mai–août 2007, p. 172–176. Voir La transmission du patrimoine religieux immatériel,Texte de la conférence inaugurale de Gilles Routhier, vice-doyen à la Faculté de théologie de l’Université Laval, lors du colloque 2010 de Mission Patrimoine Religieux à Lachine
4 « Il faut tout d’abord noter le caractère insaisissable des charismes qui ne tirent leur consistance que de leur donateur, Dieu, et de la mission dans laquelle ils engagent. Les charismes ne peuvent donc pas être définis par ce qu’ils sont mais doivent l’être par leur origine et leur but, dans une perspective uniquement dynamique. […] De ceci, il apparaît que les charismes ne sont pas des biens à posséder mais des biens à mettre en œuvre. Les dons de Dieu ne sont pas quantifiables et la qualité de la vie chrétienne ne dépend ni de la quantité ni de la qualité de ces dons, mais de leur accomplissement dans la vie du croyant et dans l’Église. De plus, on ne peut parler d’une éventuelle transmission des charismes que par la mise en œuvre de pratiques communes. » François Moog, « Note théologique », in « Les congrégations : vers de nouveaux modèles de tutelle dans l’enseignement catholique », document de travail URCEC /CORREF/CEF, Janvier 2016, pp. 32-33. (À la date de rédaction du document, le Pr. François Moog était Doyen de l’ISP-Faculté d’Éducation et Directeur de l’ESCAME, délégué par le cardinal Ricard, dans ce groupe de travail, au titre de la Conférence des Évêques de France).
5 Le Père Chaminade dira un jour à ses compagnons : « Tels je vous vois maintenant devant moi, tels je vous ai vus en esprit à Saragosse bien avant la fondation de la Société. C’est Marie qui a conçu le projet de cette société. C’est elle qui en a posé les fondations, c’est elle qui continuera à la protéger. » Voir aussi la lettre aux prédicateurs de retraites du 24 août 1839. Plus tard, lors d’une retraite avec les religieux, il affirmera : « Je vous ai vus tels que vous êtes ici, et cela s’est fait dans un clin d’œil, il y a longtemps. »” Cf. L. Gadiou et J.Cl. Délas, Marianistes en mission permanente, 1972, p. 30.
6 Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, chap. IV, sur la vocation des laïcs dans l’Église, 21 novembre 1964.

Soutenez-nous dès maintenant en effectuant un don en ligne :
c’est simple, rapide, et 100% sécurisé !

VOTRE REÇU FISCAL TOUT DE SUITE
Téléchargez votre reçu fiscal par mail immédiatement après votre don en ligne.

Notre mission

La Fondation Marianiste agit pour l’épanouissement de la personne par l’Éducation. En savoir +

Nos projets

Découvrez et soutenez l'ensemble de nos actions en faveur de l'éducation et du développement en France et dans le monde entier.

S'engager à nos cotés

Élans de vies

Bulletin d'information des amis et donateurs de la Fondation Marianiste !