Un religieux marianiste témoigne de vingt-sept années passées au Congo-Brazzaville
INTERVIEW avec

Gilles de Almeida, religieux marianiste
Religieux marianiste, originaire du Portugal, Frère Gilles De Almeida a vécu pendant vingt-sept ans en République du Congo (Brazzaville), où il a été envoyé en mission. Avec nous, il revient sur le souvenir poignant de cette expérience humaine et de foi qui l’a profondément marqué, au service des populations pauvres de ce pays.
Comment votre parcours personnel vous a-t-il conduit à être envoyé en mission au Congo Brazzaville ?
Frère Gilles de Almeida : L’idée de devenir religieux était depuis longtemps en moi, mais elle s’est trouvée renouvelée à ma majorité, à la faveur de diverses rencontres, notamment au sein d’un ancien mouvement, la Légion de Marie, puis des Marianistes. Avec ces derniers, je me suis rendu compte qu’il y avait une véritable adéquation entre ce que je vivais avec eux et mes aspirations personnelles, et le désir de me consacrer à Dieu allait de pair avec celui de partir en mission. Cela exprimait pour moi une belle façon d’aller vers les autres, de découvrir l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous. J’ai évoqué avec mes supérieurs ce désir de partir en mission dès mon entrée au noviciat. Un jour, le frère vice-provincial des Marianistes m’a demandé si ce désir était toujours d’actualité, et c’est ainsi que j’ai été envoyé au Congo-Brazzaville. Cet envoi était donc quelque chose qui me correspondait : on avait besoin de moi là-bas, et j’aspirais à cela. Mais je ne connaissais rien du tout de l’endroit où j’allais partir ! J’ai d’ailleurs choisi au départ de ne pas trop anticiper la découverte du terrain, en évitant de trop me renseigner sur la culture et les langues locales, et sans me poser aucune question. Je ne voulais pas partir avec des préjugés ou des a priori, mais tout simplement rencontrer les gens tels qu’ils étaient, et être en contact avec eux.
LORSQUE J’AI VU LES HABITATIONS PAUVRES DU QUARTIER DE MOUKONDO, JE ME SUIS DIT : « MAIS QUI A FAIT VOEU DE PAUVRETÉ ? ET QUI LE VIT CONCRÈTEMENT ? ». CE FUT POUR MOI UN CHOC.
Quelle était votre mission sur place et quelles ont été vos premières impressions ?
Je suis arrivé à Brazzaville en 1984 et j’ai prononcé mes voeux perpétuels en 1986. Nous étions trois frères à être envoyés sur place. Il s’agissait tout d’abord de venir renforcer en nombre la communauté Sainte-Rita, dans le quartier pauvre de Moukondo au Nord-Est de Brazzaville. Cette implantation marianiste était toute nouvelle. D’un simple hangar, nous avons fait notre chapelle, avant de construire une véritable église. Mais ce qui m’a le plus touché en arrivant, c’est lorsque j’ai contemplé les habitations en contrebas du Centre de santé Tata René, qui est celui de la communauté : j’ai vu les habitations si modestes, au beau milieu de ce quartier, et je me suis dit : « Mais qui a fait vœu de pauvreté ? Et qui le vit concrètement ? ». Ce fut pour moi un choc.
Je me suis alors promis d’utiliser toutes les ressources qui étaient mises à ma disposition par la congrégation pour travailler pour et avec les Congolais. Nous avons créé un prénoviciat, première étape de la préparation à la vie religieuse, et j’en étais le responsable. Puis nous avons estimé que Brazzaville n’était pas un lieu idéal pour préparer à la vie religieuse, et c’est alors que nous sommes partis à Voka, dans le département du Pool.
Quel était le rôle de la mission marianiste de Voka auprès des habitants de la région ?
La mission marianiste de Voka se situe à 120 km de Brazzaville. C’est très rural, même si aujourd’hui la situation a quelque peu changé mais pendant de nombreuses années, il ne fallait pas s’attendre à avoir de l’électricité ou même de l’eau dans la maison, ce qui ne m’a pourtant pas empêché d’y passer de très belles années. Le sens de la mission des frères à Voka était de continuer l’oeuvre des religieux spiritains, qui étaient là pour aider la population à améliorer son quotidien en travaillant le développement des cultures. Pendant des années, il n’y avait pas véritablement de ferme à Voka, mais plutôt un centre d’appui à l’agro-pastorale de la région. À l’origine, les paysans des environs disposaient seulement chacun de leur lopin de terre, essayant de s’en sortir individuellement. Nous avons contribué à leur suggérer l’idée que l’union fait la force. Ils se sont alors constitués en coopératives et ont pu travailler ensemble pour produire davantage, acquérir des véhicules afin d’acheminer leur production sur les marchés de Brazzaville. Les frères marianistes apportaient la logistique, et ce qu’il faut pour les graines, les produits phytosanitaires nécessaires, etc.
À Voka, nous avons créé une ferme pilote, car nous avons pris conscience que si nous voulions vraiment que le paysannat soit autonome financièrement et sur le plan alimentaire, il fallait développer la branche agro-pastorale, donc l’élevage caprin, mais surtout bovin. Avec l’aide d’un organisme espagnol, nous avons fait du métayage : nous achetions du bétail que nous placions chez des paysans qui le demandaient et nous nous engagions à suivre gratuitement les bêtes au point de vue phytosanitaire et vétérinaire pendant quatre ans, au bout desquels nous récupérions la dernière génération, pour la faire grandir et la replacer ensuite chez d’autres paysans. Ceux-ci venaient par ailleurs à la ferme pour y chercher les intrants, le fumier, le lisier, etc. Notre projet a pris de l’ampleur, et même si la guerre civile a fini par réduire les élevages à néant, nous avons joué un rôle d’appui, de centrale d’achat et de distribution pour toute la paysannerie, non pas seulement du district de Boko, dont dépend Voka, mais de toute la région. L’exploitation est devenue très importante, au point que l’Etat congolais – bien que socialiste à l’époque – et le ministère de l’Agriculture s’intéresse à nos travaux, et que certaines universités congolaises envoient chez nous des étudiants en agronomie.

À VOKA, LE COLLÈGE CHAMINADE A VU LE JOUR PARCE QUE LA POPULATION L’A DEMANDÉ ET S’EST RETROUSSÉ LES MANCHES POUR TRAVAILLER AVEC NOUS ET PAYER LA SCOLARITÉ DES ENFANTS.
C’est également dans ce contexte que s’est créé le Collège Chaminade de Voka. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
En 2001, nous avons pu revenir à Voka. Les familles de la région nous ont alors alertés sur la scolarité des enfants. En effet, après être passés par l’école primaire locale, tenue par les Soeurs de Ribeauvillé, les élèves n’avaient pas d’autre choix que d’aller au collège à Boko, à 15 km de là. Là, ils étaient souvent livrés à eux-mêmes, et il arrivait fréquemment que les filles reviennent enceintes. On nous a donc dit : « Vos activités au sein de la ferme, c’est très bien. Mais ce dont nous avons vraiment besoin ici, c’est d’avoir un collège sur place ! Pouvez-vous faire quelque chose pour nous ? ». J’étais directeur de communauté à ce moment-là, et j’ai répondu : « Oui, nous pouvons faire quelque chose pour vous et avec vous ! » Il y avait quatre salles de la paroisse locale qui n’étaient plus utilisées, elles étaient complètement délabrées et abandonnées. Ensemble, nous avons tout nettoyé et passé à la chaux. Nous avons emprunté des bancs à l’église, et nous avons fait fabriquer des tables avec les ressources de la forêt. C’est ainsi que le Collège Chaminade a vu le jour, parce que la population l’a demandé et s’est retroussé les manches pour travailler avec nous et payer la scolarité des enfants. C’est ensuite, avec le soutien de la Fondation Marianiste, que nous avons pu construire quelque chose de plus grand pour faire face au succès de l’établissement.
Les tensions politiques dans le pays et la région du Pool en particulier, mais aussi les relations souvent difficiles entre les habitants des deux Congo vous ont-elles impacté ?
Entrer dans des considérations politique n’est pas de mon ressort. On peut cependant dire qu’il y a longtemps eu un sentiment d’insécurité dans cette région du Pool. Après les années de guerre civile, les politiques publiques successives de l’Etat congolais ont eu un certain impact, comme celle de la régionalisation et du développement de certaines villes de province comme Kinkala, qui a freiné la hausse démographique des petits villages, où les Congolais avaient pourtant commencé à se réinstaller, car la vie y est plus simple et moins chère qu’en ville. En tant que religieux, nous avons voulu opérer dans ce contexte la gestion la plus sage possible de nos oeuvres, en diversifiant nos implantations, mais aussi nos sources de revenus, pour mieux accomplir notre mission éducative auprès des Congolais.
Je considère que la méfiance de longue date entre les Kinois (les habitants de Kinshasa, en République démocratique du Congo, ex-Zaïre) et les Brazzavillois est essentiellement le fruit de l’histoire, en particulier celle de la colonisation et de la Guerre froide. Pourtant, de chaque de côté du fleuve Congo, on retrouve les mêmes ethnies. Le secteur canonique du Congo, chez les religieux marianistes, englobe les oeuvres de part et d’autre de la frontière, de sorte que les différentes oeuvres accueillent des religieux ressortissants des deux pays, ce qui, on s’en doute, n’est pas toujours facile à vivre au quotidien ! Après la guerre civile, lorsque nous avons écrit notre projet communautaire lors de notre retour à Voka, nous n’avons voulu retenir qu’un seul axe de travail : réexpérimenter le fait de vivre ensemble, en tant que frères. Après les troubles qu’avait connu le pays, et si nous n’avions qu’un seul témoignage à donner auprès des populations, c’était celui qu’il est possible de faire vivre ensemble des personnes de milieux différents, de pays différents, de cultures différentes.
JE SUIS PARTI À LA DÉCOUVERTE DE CE PEUPLE ATTACHANT, DÉBROUILLARD, UN MIRACLE PERMANENT.
Que retenez-vous de ces nombreuses années au Congo et qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Lorsque vous arrivez quelque part en tant que religieux, vous n’êtes pas seulement envoyé pour gérer une œuvre et la rendre viable, mais aussi pour vous implanter et vous enrichir de la culture dans laquelle vous êtes accueilli. Ainsi, vous n’êtes plus un étranger, mais simplement un seul, parmi tant d’autres.
Pendant les vingt-sept années de ma présence dans ce pays, quelles qu’aient été les difficultés rencontrées, je n’ai jamais douté de la bonté et de la solidarité des Congolais avec lesquels j’ai vécu, et si je suis encore en vie, c’est grâce à un certain nombre de personnes qui m’ont protégé et qui m’on aidé à survivre. Je suis parti à la découverte de ce peuple attachant, débrouillard, un miracle permanent. Je me souviens de ces gens admirables, qui nourrissaient leur famille chaque jour, n’ayant rien, mais donnant tout. Les mots ne peuvent exprimer ce que j’ai ressenti, et que je ressens encore aujourd’hui.
Je retiens de tout cela ne faut jamais se décourager dans ce que nous entreprenons, et toujours commencer et recommencer. Mais surtout, c’est l’Homme qui est prioritaire, quoi qu’il arrive. Enfin, surtout au vu de la situation de notre monde actuel, il me paraît important de montrer en toute sincérité que, d’où que l’on vienne, quelle que soit notre éducation et notre formation, on peut vivre ensemble, en frères.
Propos recueillis par Pierre Marot
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