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V. Clasquin : « À Pilette, nous avons rencontré une équipe déterminée ! »

Interview

10 avril 2020

Retour sur la visite de l’établissement par la Fondation Marianiste en février

INTERVIEW avec

Vincent CLASQUIN, Censeur au Collège Sainte-Marie Saint-Dié, établissement scolaire marianiste

En février 2020, Vincent Clasquin, Censeur au Collège Sainte-Marie de Saint-Dié (88) et Antoine Hüe, secrétaire général de la Fondation Marianiste, se sont rendus en Haïti, à Pilette, pour inaugurer, avec toute la communauté paroissiale, un nouvel étage sur le bâtiment existant de l’école. Dans un entretien, Vincent Clasquin revient avec nous sur ce voyage, qui est l’aboutissement de plusieurs années de mobilisation dans le réseau marianiste en faveur de ce beau projet !  

Vincent Clasquin vous vous êtes rendus en Haïti avec Antoine Hüe pour assister à l’inauguration de l’étage de l’école de Pilette. Comment aviez-vous préparé ce déplacement ?

Vincent Clasquin : Depuis deux ans, nous avons travaillé à distance, par mail, avec Wesly Etienne, responsable du projet sur place, pour avoir des éléments tangibles et visuels de l’avancée des travaux. Je connaissais bien entendu de l’école ce qui existait déjà, ainsi que les constructions à venir, nous avions des plans et une vue exacte de ce que pouvait donner le bâtiment et son étage une fois terminés, mais j’avais hâte de pouvoir les admirer. Je n’ai pas été déçu du voyage ! Nous avons pu échanger avec la population locale, nous avons vraiment touché du doigt une réalité que nous ne connaissions que de loin, et nous en sommes très heureux.

L’école de Pilette est soutenue par l’ensemble du réseau scolaire marianiste de France depuis de nombreuses années, avec notamment la fameuse « Soirée créole » organisée par votre propre établissement, le Collège Sainte-Marie Saint-Dié (88). Comment ce projet a-t-il évolué depuis le début ? Comment vos élèves en France le perçoivent-ils ?

L’école de Pilette, créée en 2006, accueille 300 enfants de la région de Trou-du-Nord, au Nord d’Haïti. Sa fondation avait été dans un premier temps accompagnée par les religieux marianistes eux-mêmes, qui étaient venus fonder une communauté religieuse à Port-au-Prince, la capitale. En 2010, suite aux événements liés au séisme , les frères ont commencé à se retirer, et ce sont les Communautés Laïques Marianistes, très présentes sur l’île, qui ont pris le relai.

À l’origine une simple salle de classe informelle, au fond de l’église du petit village, l’école s’est construite au long des années, grâce à la générosité des donateurs et à la mobilisation du village tout entier, avec d’abord 6 salles de classes, puis une première extension avec le bâtiment des maternelles, une bibliothèque, des bureaux administratifs.

Vous l’avez dit, depuis le début, les établissements scolaires marianistes de France ont soutenu le projet. À Saint-Dié, nous n’avons jamais cessé de le faire, avec en particulier la « Soirée créole », une soirée des talents caritative annuelle, organisée par nos élèves avec leurs professeurs et éducateurs, et qui avait été lancée par le Fr. Jean-Marie Leclerc (lui-même d’ailleurs s’est rendu à Pilette dès les premières années). Nous avons fait en sorte que nos élèves se mobilisent. L’année dernière, pour des raisons d’organisations, nous n’avons pas pu rééditer cette soirée : tous nous ont alors dit leur déception ! Soutenir une école pour que des enfants du même âge qu’eux, au bout du monde, puissent être instruits dans de bonnes conditions, les motive énormément.

Lors de la soirée d’il y a deux ans, j’avais même mis en place un échange par Skype avec l’équipe de Pilette. La connexion a été assez chaotique, il leur fallait trouver du gasoil pour faire tourner leur groupe électrogène et faire fonctionner l’ordinateur ! Mais nos élèves ont quand même pu s’apercevoir du gouffre qu’il y a entre eux et leurs camarades haïtiens, car ces derniers sont passés devant la caméra pour expliquer comment ils allaient à l’école le matin, faisant entre trois et cinq kilomètres à pied matin et soir. Nos élèves ont bien compris l’utilité de leurs efforts pour soutenir ce beau projet !

La situation globale d’Haïti est en ce moment très préoccupante. L’instabilité politique et le marasme économique du pays suscitent depuis des mois manifestations et troubles. Comment appréhendiez-vous ce voyage et comment s’est passée votre arrivée ?

Je savais que la situation du pays était assez difficile, sans en percevoir exactement la réalité. Au cours de la préparation, le fait d’établir un contact régulier avec Wesly, qui a pu m’informer de ce qui se passait chez eux, a été précieux. Avec Antoine et les équipes de la Fondation Marianiste, nous avons fait en sorte, par mesure de sécurité, de ne pas passer par Port-au-Prince, mais d’atterrir à Cap-Haïtien, une ville moyenne au Nord d’Haïti. C’était d’ailleurs assez poignant d’arriver là, après une heure et demie d’avion, alors que la veille, nous faisions escale à Miami en Floride, ou les grosses voitures et autres signes de richesse s’alignent le long des plages !

D’un seul coup, en Haïti, nous avons vu un tableau bien particulier ; la situation à l’aéroport paraissait assez tendue, avec la présence de l’armée. Heureusement, nous étions attendus ! Wesly était là, ainsi que le Père Dorsaint, curé de la Paroisse de Pilette, avec leur voiture. Antoine et moi-même sommes montés et nous sommes partis immédiatement pour rejoindre Pilette. Autour de moi, je voyais des habitations basses et obscures ; une population pauvre avec quelques vendeurs côtoyait les épaves de voitures usagées sur le bord de la route et les motos-taxis, où quatre à cinq personnes s’entassaient au mieux.

À PILETTE, NOUS AVONS RENCONTRÉ DES GENS DÉTERMINÉS À RÉUSSIR CE QU’ILS ONT ENTREPRIS POUR L’ÉDUCATION DES ENFANTS. ILS SAVENT QUE NOUS SERONS TOUJOURS À LEURS CÔTÉS !

Comment le village de Pilette s’organise-t-il ?

Une fois arrivé sur l’espèce de piste de terre qui conduit au village, les choses sont un peu plus calmes. Le climat de guerre civile ne semble pas atteindre les habitants de cette région assez isolée. Il y a une vie presque tranquille, si ce n’est leur situation de grande pauvreté. On voit de nombreux arbres fruitiers, la rivière apporte l’eau aux habitants pour se laver et faire leur linge, même si elle n’arrive pas directement chez eux. Il se respire une certaine sérénité : chacun a sa maison, faite en bois et torchis avec un toit de taule. Ces habitations sont modestes, mais elles leur appartiennent.

Dans le petit centre du village, quelques maisons sont rassemblés autour d’un dispensaire. Un petit chemin remonte ensuite vers l’église, le presbytère, et bien sûr l’école. Le village compte environ cinq à six cents habitants, mais la plupart des maisons sont disséminées dans les terres. C’est là que nous avons notamment pu voir où a grandi notre hôte, Wesly, qui nous a expliqué que pendant son enfance, alors qu’il n’y avait pas d’école au village, il devait se rendre à Trou-du-Nord chaque matin, ce qui fait tout de même quatorze kilomètres aller et retour !

Quel accueil vous a été réservé par les enfants et les habitants ?

Les élèves nous attendaient lorsque nous sommes arrivés dans le village, ils nous ont chanté un chant de bienvenue ! C’était vraiment magnifique, et j’étais très touché de cet accueil chaleureux, d’autant que tous, élèves et professeurs, étaient normalement en congés pour la traditionnelle période du carnaval. Tout le monde était venu, des affichettes « Bienvenue Vincent et Antoine » étaient placardées un peu partout. Nous sommes ensuite montés jusqu’à l’école, et les festivités se sont enchaînées, avec des chants, des interventions diverses, y compris venant d’enfants parlant d’une voix parfois mal assurée, mais qui semblaient heureux. Nous avons passé une très belle journée ensemble.

Qu’apporte la présence de l’école à Pilette au village ? Que change-t-elle dans la vie des enfants ?

Avec l’église, l’école est un point de ralliement incontournable dans la vie des villageois. C’est un havre de paix, et les habitants savent que l’instruction qui s’y donne est importante pour leurs enfants. Le lieu lui-même est agréable attractif, parce qu’il y a de l’espace autour, avec des jeux. Les fraternités marianistes sont très présentes et actives dans l’équipe pédagogique, et ont à cœur d’accompagner les enfants tant dans les temps de travail que de loisirs. L’excellente réputation de l’école tient aussi dans le coût d’inscription, qui est paradoxalement moins cher que celui de l’école publique en Haïti.

Nous avons parlé avec les élèves, qui sont fiers d’apprendre tous les jours, et de comprendre le monde dans lequel ils vivent. Le jour de l’inauguration, ils nous ont beaucoup remerciés pour cela et prenaient le micro pour nous le dire dans un français impeccable !

Quels sont les besoins actuels de l’école ? Comment voit-elle son avenir et sa pérennité ?

L’école accueille toujours au moins trois cents enfants de la maternelle, jusqu’au niveau que les Haïtiens appellent la 8ème, et qui correspond à la fin du collège chez nous. C’est donc l’intégralité du cycle fondamental qui est maintenant dispensé. Même si l’étage construit dernièrement est debout et fonctionne, il y a encore besoin de quelques finitions, et comme il restait un peu de matériaux, il a été préparé sur le toit la construction future de sanitaires supplémentaires ainsi que d’un dortoir pour les enseignants.

Même si l’on peut considérer que l’essentiel des bâtiments de l’école est terminé, il peut y avoir, à notre sens, des améliorations et des aménagement, je pense notamment à la cuisine, qui est encore assez rudimentaire, même si elle permet de fournir à tous les élèves un repas chaud unique par jour.

Pour l’heure, la priorité consiste à aménager les salles de classes, qui ne disposent que de très peu de mobilier : des devis ont été établis en ce sens. Il faut aussi songer à des bourses d’études, pour que les familles les plus modestes, celles qui n’ont pas les moyens de payer l’inscription de leur enfant, puissent tout de même l’envoyer en classe.

Je veux aussi insister sur le salaire des professeurs, qui ne dépasse les trente dollars par mois (environ 27,50 € NDLR) ; il y en a quelques-uns parmi les enseignants qui, habitant loin de Pilette, font passer la moitié de cette modeste paye dans leur transport, et il ne reste plus grand chose à la fin. Ils ont du courage et de l’entrain, mais ce qu’il font relève presque du bénévolat ! Dans un premier temps, une caisse de soutien pour ces enseignants serait donc la bienvenue.

Nous avons pu échanger avec les équipes, et rencontrer les fraternités marianistes locales, les professeurs de l’école, le comité de direction. Tous nous ont exprimé les besoins de l’école, qui sont encore bien réels. Antoine Hüe et moi-même les avons accompagnés dans leur réflexion sur les différentes manières de pérenniser l’établissement.

Bien sûr, force est de reconnaître tous les efforts admirables qu’ils font pour s’en sortir ! De belles choses ont été construite, l’école est belle et grande. L’auditorium, qui vient juste d’être construit à l’étage, est une grande salle, avec un podium en béton et quatre escalier pour y monter. Il peut être exploitable en location pour des groupes assez importants, et certains sont d’ailleurs déjà venus, ce qui montre bien que l’école occupe une place majeure dans la vie de la région.

Professionnellement, quels sont les débouchés dans la région ? Quel est l’avenir des enfants de Pilette ?

Après le collège, hélas, très peu, parmi les enfants de Pilette, peuvent aller faire des études, qui nécessitent de se rendre à Trou-du-Nord, et qui sont coûteuses. Seule une quinzaine d’enfants a pu entamer des études supérieures depuis que l’école existe. De fait, l’éducation qu’ils y reçoivent est indispensable, mais une fois que le collège est terminé, ils se retrouvent sans rien.

Ils ont de l’instruction, mais ne peuvent pas en faire grand-chose, et ils entrent alors dans une situation où chacun tente de se débrouiller pour survivre, notamment en tentant d’acquérir une moto, moins chère qu’une voiture, afin de travailler comme taxi, ou en vendant un bien de famille pour se procurer un peu d’argent. Il n’y a pratiquement aucune entreprise, pas d’industrie dans cette région du Nord du pays, le chômage est le lot de beaucoup. Les métiers manuels, cependant, rencontrent un certain succès, comme la maçonnerie, la charpenterie-menuiserie, l’ébénisterie ; les métiers de la terre, également, sont une voie possible : des plantations de haricots, le lancement de la culture du café pourraient constituer des sources de revenus.

L’idée qui prend forme pour les années à venir consiste dans l’achat d’un terrain proche du presbytère afin d’y construire un centre de formation pour tous ces métiers, et d’offrir ainsi aux jeunes de nouveaux horizons professionnels. Ce projet n’en est qu’à ses début, et une telle initiative nécessiterait, bien sûr, de fédérer toutes les forces vives du village et des alentours. Mais en la matière, les habitants de Pilette ont déjà fait leur preuve avec la construction et le développement de l’école !

Que retenez-vous de votre voyage ?

C’était une visite forte en émotions ! Voilà bientôt quinze ans que nous nous mobilisons pour ce projet. Cette visite nous a permis de renouveler de forts liens avec l’équipe de l’école, les villageois, et les fraternités marianistes, et ce grâce aux nombreux échanges que nous avons eus avec eux, dans un climat de partage et de confiance. Je me suis senti plus proche d’eux. À Pilette, nous avons rencontré des gens déterminés à réussir ce qu’ils ont entrepris pour l’éducation des enfants. Ils savent que nous serons toujours à leurs côtés. C’est pour moi une grande fierté !

Nous sommes repartis avec une grande envie de poursuivre le travail commencé avec la Fondation Marianiste, que je tiens à remercier de m’avoir fait vivre cette magnifique aventure !

Propos recueillis par Pierre Marot

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